Les Prud’homies

Historique des Prud’homies de patrons-pêcheurs

Issues des communautés de métiers du Moyen-Age, les Prud’homies désignent des communautés de patrons pêcheurs qui élisent en leur sein des Prud’hommes chargés de gérer la pêche sur leur territoire, par des attributions réglementaires, juridictionnelles et disciplinaires. Ces organisations professionnelles, historiquement fréquentes dans le Bassin Méditerranéen, ont perduré en France (les cofradias espagnoles ont évolué différemment, des formes simplifiées existent au Maghreb).
La constante motivation de l’institution est de gérer localement, avec simplicité, rapidité et à moindres frais, une activité de pêche, et les conflits qu’elle occasionne, sachant qu’elle est le plus souvent exercée par un grand nombre de pêcheurs sur des zones de pêche exigües. Au cours de l’Ancien Régime, les Prud’homies font reconnaître leurs droits par tous les rois de France (lettres patentes), cherchant le plus souvent à lutter contre les privilèges aristocratiques et ecclésiastiques (madragues et bordigues, droits à verser…) et les contestations de pêcheurs immigrés concernant la réglementation ou l’interdiction de certaines techniques. Leur organisation abolie comme toutes les corporations à la Révolution, les prud’hommes de Cassis et de Marseille se déplacent à Paris où ils sont soutenus par Mirabeau devant l’Assemblée Constituante. Reconnaissant son fonctionnement démocratique, cette dernière maintient l’institution prud’homale et autorise tous les ports qui n’en sont pas dotés à créer leur propre prud’homie. Bon nombre de prud’homies voit le jour dans les années qui suivent. Sous Napoléon III, alors que sont rédigés des décrets d’État destinés à réglementer l’ensemble des pêches par façade maritime, le décret pour la Méditerranée retranscrit les attributions prud’homales en droit moderne et charge l’institution de préciser les règles locales pour les différents engins de pêche. Ce décret du 18 novembre 1859, maintes fois modifié, reste le texte légiférant actuellement les prud’homies.
La présence prud’homale a probablement repoussé l’industrialisation du secteur au début du XXème siècle, les communautés de pêcheurs préférant continuer à valoriser des quantités limitées et diversifiées sur un marché local bien achalandé plutôt que de vendre de grandes quantités à bas prix. Suite à divers facteurs (arrivée de pêcheurs rapatriés qui exercent des techniques plus intensives comme le lamparo ou le chalutage, implantation locale d’un organisme scientifique qui détecte des stocks importants de petits pélagiques, ouverture du marché commun sur les produits de conserve…), l’État lance l’industrialisation des pêches à partir des années soixante et désavoue l’autorité prud’homale qui s’oppose à l’autorisation généralisée du lamparo (senne tournante et coulissante et usage d’un foyer lumineux pour la capture de petits pélagiques).
Les Prud’homies continuent à fonctionner localement, en marge de leur autorité de tutelle, avec plus ou moins de force selon les contextes locaux : importance du nombre de petits métiers et nécessité de régler les usages lorsque le territoire de pêche est réduit (étangs, lagunes, bordure littorale étroite), poids relatif des « grands métiers » (chalutiers et senneurs) et des organisations professionnelles investies par ces techniques intensives, développement de zones littorales spécialisées (touristiques, industrielles, résidentielles…).

Depuis la mise en place de la Politique Commune des Pêches, marquée à la fois par un renforcement productiviste et par les lobbies environnementalistes, les Prud’homies peinent à faire valoir leurs droits aux niveaux européen et national, et à préserver l’avenir de petits métiers côtiers polyvalents. Mieux intégrés au niveau local et régional, les prud’hommes sont souvent présents dans les lieux de concertation pour la gestion littorale.

Fonctionnement de la gestion prud’homale

prud-homies-tribunal

La prud’homie regroupe l’ensemble des « patrons-pêcheurs » exerçant sur le territoire de la Prud’homie dans un contexte artisanal où les matelots sont appelés à devenir patrons. Un pêcheur étranger à la prud’homie peut venir travailler occasionnellement, en avertissant un prud’homme et en se conformant aux règles locales. Si les postes de pêche sont déjà attribués et occupés par les membres de la prud’homie, il ne pourra y prétendre, l’objectif étant d’éviter que des pêcheurs ne se déplacent au cours des saisons en profitant des emplacements stratégiques au détriment des autres.

Elections

Elections

Partant du principe que la prud’homie est créée (il y a eu des cas de regroupement ou de scission de prud’homies dans l’histoire), les élections directes et à bulletin secret des prud’hommes (3 à 7 selon l’étendue de la Prud’homie), du secrétaire archiviste et du trésorier ont lieu tous les 3 ans. Des règles d’ancienneté pour l’éligibilité cherchent à garantir l’expérience des prud’hommes et la continuité de la régulation. Il peut être décidé de choisir un prud’homme par zone (quand la prud’homie est étendue), et/ou par type de métier.

Réglementation

Réglementation

Multiples sont les causes qui peuvent générer un règlement : à l’occasion d’un conflit, parce qu’une ressource ou une zone sont convoitées par un grand nombre de pêcheurs ou qu’elles semblent surexploitées, pour empêcher la venue de pêcheurs qui exercent des techniques plus intensives, pour rappeler certains usages aux jeunes pêcheurs ou à des pêcheurs indisciplinés, pour empêcher une mévente et une chute de prix liées à une surproduction passagère, pour des questions de qualité de produits (en cas de pollution)… Alors, les prud’hommes édictent, ou rappellent, des règles qui vont interdire certaines techniques, limiter les longueurs de filets ou les nombres d’hameçons ou de casiers, préciser les modes d’usage (zones, périodes, durées, disposition dans l’espace, tailles minimales mailles ou hameçons…), définir et répartir des postes de pêche par tirage au sort, protéger le frai de certaines espèces…

Gouvernance

Gouvernance

prud-homies-membres

Les décisions sont prises par les prud’hommes ou en assemblée générale. Confronté quotidiennement à l’ensemble de la communauté, un prud’homme ne peut prendre de décision sans l’appui de la majorité. Les principes communautaires qui motivent les décisions sont fondés sur le respect de la personne et des générations futures. Ils sont véhiculés sur les quais à l’aide de petites phrases : « Tout le monde doit pouvoir vivre de son métier (ou le soleil se lève pour tout le monde). Il faut éviter qu’un métier n’en chasse un autre. Un métier, il vaut mieux le réglementer que l’interdire par rapport à ceux qui en vivent. Si la pêche est perdue pour un pêcheur, elle ne doit pas l’être pour tout le monde. Il faut laisser reposer les espèces, ou les «pierres » alternativement (une sorte de jachère). La mer, il ne s’agit pas de la vider mais d’en bien vivre et d’en laisser à ses enfants… ». En pratique, les règlements tendent à aligner l’ensemble des métiers sur ceux à faible capacité de capture, pour laisser leur chance aux plus «démunis ». La pêcherie progresse de façon relativement homogène.

Contrôle et sanctions

Contrôle et sanctions

Par leur présence sur l’eau et par les plaintes des pêcheurs, les prud’hommes sont informés des infractions. Ils peuvent juger le contrevenant et fixer une amende pour dédommager la victime. Actuellement, les jugements sont remplacés par l’arbitrage. En cas de non-paiement, le matériel de pêche peut être confisqué.

Représentation

Représentation

Pour préserver la qualité et l’étendue de leurs zones de pêche, ainsi que l’avenir de la profession, les prud’hommes s’impliquent dans des actions, avec l’appui parfois d’autres structures : création et gestion de réserves, restauration de cours d’eau, définition des contraintes pour la création d’émissaires en mer, actions en justice avec des associations ou syndicats (blocage de comblement d’étangs, procès contre rejet d’eau douce et limon dans un étang), négociations avec des autorités portuaires… Avec les comités des pêches (structure professionnelle reconnue) et avec des appuis financiers publics, ils ont pu créer, dans le Var, une démarche qualité de valorisation des techniques de pêche, initier une activité complémentaire de Pescatourisme, développer de la communication, lancer une formation adaptée aux petits métiers côtiers…

prud-homies-carte

33 Prud’homies réparties entre Port-Vendres et Menton, (Corse comprise) – Illustration C. Connaulte

 

Exemple de réglementation prud’homale

En décryptant les règlements des Prud’homies de Saint-Raphaël ou de Sanary, on distingue 2 objectifs principaux :

1Répartir l’exercice de la pêche sur le territoire et éviter les conflits, dans une dynamique de « partage » au sein d’une flottille qui doit rester artisanale et relativement homogène

  • les engins autorisés sont listés, les « grands métiers » n’ont pas cours car le chalutage est interdit au même titre que les arts trainants (les sennes ne sont plus utilisées depuis longtemps, ou alors de façon très ponctuelle), les limitations de capture empêchent le développement de techniques intensives spécialisées et incitent à la polyvalence des pêcheurs pour des techniques diversifiées,
  • l’intensité de capture est plafonnée par bateau (longueur totale des filets utilisés, nombre maximal de casiers ou d’hameçons pour les palangres) et par métier,
  • certains métiers exercés sur des postes de pêche bien identifiés donnent lieu à un tirage au sort entre les patrons pêcheurs lorsqu’ils sont en compétition pour les mêmes postes. Les pêcheurs régulièrement embarqués sont prioritaires sur les autres. Le calage se fait perpendiculairement à la côte pour ne pas gêner les autres postes,
  • les engins sont signalés et identifiés par des signaux visibles et marqués au nom du bateau,
  • les engins les plus contraints par les conditions spatio-temporelles (filets de postes, petits filets dérivants…) sont prioritaires sur les autres,
  • pour certains métiers, une distance dans le calage des engins doit être respectée afin de ne pas gêner l’efficacité du piégeage.

2Préserver le renouvellement de la ressource sur le territoire afin d’assurer la vie de la communauté de pêcheurs dans le temps :

  • l’intensité de capture est plafonnée globalement (longueur totale des filets utilisés, nombre maximal de casiers ou d’hameçons pour les palangres) et par métier,
  • sont protégés, par des règlements, les zones de frayères des rascasses, les langoustes et homards grainés, les juvéniles (taille minimale des mailles et hameçons),
  • sont plafonnés les temps de trempage des engins dans l’eau afin d’éviter le rejet inutile de captures qui seraient abimées
  • des périodes de pêche sont prévues pour certaines pêches côtières afin de laisser reposer les fonds.